Mission sociale des Eglises : bref état des lieux en contexte africain

À Madagascar par exemple, 80% de la population vit avec un revenu inférieur à 2$ /jour/personne. Mais ce faible revenu n’est qu’un des indicateurs de la pauvreté qui touche les personnes dans tous les aspects de leur vie et de leurs besoins essentiels, physiques (alimentation, santé, habitat)  sociaux (éducation, sécurité) et culturels (identité, relations). Elle est l’expression des rapports de force qui s’établissent dans des sociétés qui ont vécu de profondes transformations depuis la période coloniale jusqu’à la mondialisation économique. Les solidarités communautaires et familiales traditionnelles ont été ébranlées par la monétarisation des économies locales, par l’urbanisation et l’exode rural, par les clivages sociaux entre les quelques gagnants et les nombreux perdants de la nouvelle économie. La résignation et le fatalisme, les émeutes pour le pain, l’émergence de gourous qui promettent la réussite et la richesse sont les fruits les plus communs de ces inégalités.

Eglises et pasteurs engagés dans l’entraide

Les directions d’Églises sont généralement conscientes de leur responsabilité face aux enjeux. Dans ce contexte de précarité généralisée, il n’est pas possible de séparer l’accompagnement spirituel de la solidarité matérielle. Face à un État trop souvent absent, l’accompagnement spirituel doit se doubler d’une action sociale et d’un plaidoyer politique actif. Ce triple niveau d’engagement est une lourde responsabilité pour les Églises dont les membres sont très majoritairement constitués de personnes de condition modeste.

Cet engagement solidaire s’exerce d’abord dans les paroisses. Les associations et groupes de femmes en constituent le maillon le plus actif. Elles se retrouvent en groupes de prière, en cercles de tontines (groupes d’entraide et d’épargne solidaire), pour des activités génératrices de revenus (champs communautaires), elles font des visites à domicile en cas de naissance, de maladie ou de deuil, … et sont des expressions fortes du lien communautaire et du témoignage local.

Le pasteur de paroisse est également au front de l’entraide. Lorsqu’il est pasteur-agriculteur ou artisan, il partage la condition de la majorité de sa communauté. Il est alors en mesure de jouer un rôle de catalyseur au sein de sa communauté en alliant avec pertinence sa tâche de berger spirituel et d’animateur communautaire. La pratique devient plus difficile lorsque le pasteur bénéficie d’un statut « salarié », censé le libérer à plein temps pour son ministère. Ses fidèles sont tentés de le considérer comme une personne de recours dans les situations matérielles difficiles. Il risque alors de se replier dans une forme de ministère qui déserte les réalités du terrain et se limite peu ou prou aux actes pastoraux.

Gérer l’héritage des missions et trouver de nouvelles ressources

Les Églises africaines assument une action d’assistance sociale importante par leurs nombreuses œuvres et institutions (écoles, dispensaires, foyers de jeunes femmes, orphelinats, accueil d’enfants de la rue, …). Elles sont souvent le fruit du travail des Missions et des héritages difficiles à gérer. A Antananarivo, les paroisses urbaines, plus aisées, ont constitué des groupes de soutien qui effectuent des visites régulières et distribuent des produits essentiels. Mais concrètement la couverture du budget dépend surtout de la capacité du responsable de chaque institution à mobiliser des fonds dans le pays ou à l’étranger.       

De nombreux pasteurs de paroisse et des laïcs engagés consacrent un temps important à l’aumônerie dans des institutions publiques (hôpitaux, prisons, écoles). Une remarque très fréquente : « nous voudrions faire plus, mais nous n’en avons pas les moyens », reflète leurs besoins de formation initiale et continue dans tous les domaines qu’ils ont à cœur. C’est pourquoi la collaboration avec des associations homologues dans d’autres pays est souhaitable : mission de formateurs, accueil de stagiaires, échanges entre collaborateurs, …. La compréhension et le savoir-faire interculturels y gagne beaucoup. De telles expériences ont été réalisées entre la Suisse, le Togo, le Bénin, Madagascar avec beaucoup de retours positifs.

L’Eglise face à des défis 

L’une des fragilités de l’institution sociale des Églises du Sud reste la dépendance à l’égard d’une base locale fortunée, mais réduite, et de financements étrangers non durables. C’est pourquoi une partie d’entre elles sera amenée à opérer des changements stratégiques importants, tels que l’autonomisation de certaines œuvres, voire leur remise à l’État. Elles seront déchargées des préoccupations gestionnaires, elles y perdront peut-être en visibilité institutionnelle. Mais cela permettra de libérer des énergies pour des démarches plus proches de la base, plus participatives, et mieux centrées sur la personne humaine dans son intégralité. Une telle démarche présuppose, de la part des responsables ecclésiaux, une réflexion de fond sur les priorités et les stratégies futures du témoignage social et la prise de parole prophétique des Églises dans l’espace public : passer d’une posture de préservation des acquis d’autorité (hiérarchie et institutions) au soutien des actions, peut-être modestes, mais libératrices et innovantes, en phase avec la situation et les attentes de la population. À cet égard, les confrontations d’idées et les collaborations entre Églises du Nord et du Sud (y compris Sud-Sud) peuvent permettre de belles découvertes et accompagner des expériences stimulantes.   

Jean-Daniel Peterschmitt

Ex-collaborateur de DM, service de Mission des Eglises protestantes réformées de Suisse romande

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